20 Avril. Je l’ai tellement répétée cette date pour expliquer pourquoi je suis ici, maintenant.
4h37 précise, une petite brise continue démarre. Pendant que j’essaie de prendre des photos du ciel, une étoile filante passe, d’ouest en est, vive. Je fais un vœu.
Je vais tenter le tout pour le tout et aller au point que je voulais pour le passage de l’éclipse, en laissant la maximum de bagages cachés derrière un arbuste sur place.
Cela représente une vingtaine de kilomètres dans un terrain pénible. Le guide du parc national repasse au moment où je range. La suite de la route est encore plus ensablée selon lui. Vais-je y arriver? Qui vivra verra.
En m’arrétant pour prendre des termitières en photo je remarque un très gros oiseau, de la taille d’un émeu. Pourtant, quelques kilomètres plus loin le même type d’oiseau décolle.
Cela ne vole pas les emeus. C’est une outarde australienne mâle (la femelle est trois fois plus petite), le plus gros oiseau volant du pays. Celui que je vois s’enfuir a tire d’aile a moins de 5m de moi fait plus d’un mètre cinquante d’envergure. C’est impressionnant.
Pour moi qui n’ai pas l’habitude, progresser dans ce sable est éreintant. Les mains tétanisent, les bras fatiguent, les dorsaux chauffent. Comment les pilotes de rallye passent à plus de 100km/h en donnant l’impression que c’est facile? Je regrette de ne pas avoir fait un stage de préparation.
Je passe ma première dune de sable en m’enlisant presque. Pourvu que j’ai assez d’élan au retour.
20km/h de moyenne, il me faut une heure pour atteindre le camping de Windurabundi. Stop!
Je rejoins la plage et me régale d’un paysage paradisiaque.
Il n’est pas encore 9h, j’ai 2h30 d’attente dans les dunes. Le soleil et la lune sont en train de s’aligner, la marée ne peut pas être plus haute.
La lune prend tout son temps pour rattraper le soleil. Mais elle sait qu’elle gagnera sa course.
Enfin le soleil s’éclipse. Moment fugace si saisissant. Il n’y a pas de mot, il faut le vivre.
Je repars lentement, doucement. Les pieds au raz du sol, j’ai l’impression de faire du ski sur le sable. Vingt fois je manque de tomber. Trois fois je manque de m’enliser. C’est incroyable: le sable serait plus sec maintenant ? En tout cas il fait plus chaud. Après les 28⁰ juste après l’éclipse il fait à nouveau 35. Le ventilateur de la moto se déclenche fréquemment. Pauvre Jolly Jumper! Il a chaud et moi aussi.
Je récupère mes valises et vide mes dernières gouttes du camel pack, je n’ai plus que 0.5 dans ma gourde. Il est 1h, je transvase l’essence de ma réserve. Et glou et glou tout ne va pas y passer mais presque!
Prochaine route dans 34km… J’apprends en permanence. Il faut se forcer à cligner des yeux pour qu’ils ne s’assèchent pas, alléger la machine au maximum, se mettre en arrière pour alléger l’avant afin qu’il reste en surface du sable et rouler assez vite pour flotter dessus, sans freiner pour ne pas planter l’avant (le sable ralentit naturellement, il suffit de relacher les gaz), regarder au loin, rester ‘en bas’ autant que possible dans le sable (les ornières portent plus car le sable a déjà été tassé par les véhicules précédents), rester à la limite entre le sable et le dur lorsqu’il y a de la tôle ondulée car la surface est souvent plus lisse.
Je sors à 2h45 de mon épreuve. Cela fait 4h que je me débats avec la terre, le sable et les cailloux. Je suis mort mais heureux.
Je pars à Exmouth (1h de route) pour faire le plein d’eau, pendre une grosse glace bien méritée et faire une lessive.
Exmouth est devenue une ville festival à l’occasion de l’éclipse. Il y a des spectacles sur toutes les places.
C’est très bien. Mais il n’y a surtout plus de place pour passer la nuit, nulle part. Des panneaux à l’entrée de la ville rappellent que le camping hors des zones prévues est interdit. Je mange sur la plage en cherchant une option, vais me doucher aux douches de la plage. Rien. Il est minuit 30, je suis assis sur mon tapis de sol, les pieds dans le sable, sans solution. Après la journée que j’ai eue, terrassé, je m’évanouis de sommeil sous les étoiles.
Le sommeil est de courte durée : l’humidité du sable rend le froid sensible, et à partir de 3h je commence à être totalement gelé. Mes habits chauds sont restés sur la moto et mon blouson est totalement insuffisant. Je suis à la limite dr grelotter. Vers 4h30 je n’arrive plus à dormir et me lève pour regarder le soleil faire de même.