Oú je fais n’importe quoi, et finis la nuit en prison.
Au petit matin, après une brève observation ornithologique auprès du ruisseau tout proche, je remarque qu’un chemin permet d’accéder en voiture à la plage. A l’entrée, Un panneau indique qu’il est réservé aux 4×4. J’ai une moto, ça va forcément passer !
Vingt mètres plus tard, manquant de peu de tomber dans le sable, je comprends mon erreur et fait demi tour péniblement. Le retour est pire : je plante la roue avant dans une ornière de sable et envoie la moto au sol. La journée commence assez brouillon. Dans le sable, pas de dégât heureusement.
La charge de bagages est juste trop importante dans du sable meuble. Je prends un nouvelle leçon d’humilité. Un groupe de promeneurs de 50-60 ans se précipite pour m’aider à remettre Jolly Jumper sur ses roues. Je ne me lasse pas de cet esprit d’entraide des australiens !
Retour sur la route, j’arrive rapidement sur la partie la plus renommée de la Great Ocean drive, celle des ’12 apostles’. Les vagues ont creusé les falaises de calcaire pour dégager des colonnes, percer des cavernes, faconner des ponts… nombreuses sont les curiosités qui jalonnent la route.
Il y a des points de vue partout. Je dois m’arrêter tous les trois kilomètres. Je vais mettre une éternité pour parcourir le trajet… D’autant que le temps clément ne m’incite pas à foncer.
La zone est survolée par les helicoptère mais interdits aux drones. J’ai donc prévu de lancer le mien au dernier arrêt, où ils sont tolérés. Pourtant un visiteur me dit qu’il n’a pas pris le sien car la zone leur est interdite. Et mince : je me suis trompé d’arrêt. Je remballe rapidement mon quadricoptère et pars sans demander mon reste.
La petite agglomération de Port Campbell a une baie adorable. Elle fait partie des points que la route est heureusement venue desservir.
Je regarde la montre : il est encore bien tôt, presque midi. Je suis partant pour un café, et craque pour une part de honeycomb cheesecake pour l’accompagner.
Que leur essence est chère! J’ai beau en avoir besoin, je ne prends que 10 litres, de quoi sortir de la zone touristique.
Je vais amèrement le regretter plus tard…
Les falaises continuent de receler de belles surprises.
Mon hébergement est accessible jusqu’à 9h du soir. Pas de raison de me presser. Je flâne un peu à la baie des martyrs. Tiens, près de Portland une plate-forme permet de voir des phoques (d’un peu loin).
C’est une randonnée indiquée pour 2h, il est 16h20, en la faisant au pas de course je vais la faire en une grosse demi heure. Je ne le regrette pas, je passe à moins de 10m d’un kangourou au retour et arrive à le filmer.
J’ai le temps ; il n’y a plus que 90 minutes de trajet.
Mais pourquoi le soleil est si bas sur l’horizon ???
C’est en voyant qu’il y a une heure de différence entre l’heure de mon téléphone est celle de la moto que je réalise que j’ai changé d’heure. Je suis passé dans l’état du South Australia qui a une heure de retard. Aïe! Il va faire nuit bien avant que j’arrive. C’est très mauvais ça.
Les têtes de kangourous attentives à mon passage se multiplient. Attirés par l’herbe verte des bords de route, ils commencent à m’inquièter. J’aimerais bien me placer à la suite d’une voiture pour qu’elle me serve d’éclaireuse, mais la route est éperdument vide.
La nuit tombe. Mon phare est réglé trop bas et je n’arrive pas à le régler. Je règle ma suspension arrière en position conducteur seul, pour qu’elle soit la plus basse possible. Je passe plein phare. Rien n’y fait : je distingue à peine les bas côtés à 40m, au travers d’une visière salie par les moustiques du soir. Je roule au centre de la route pour m’écarter au plus des zones où sont tapis les animaux. Je crois en distinguer partout et freine pour une souche ou un bouquet de graminées difforme…
J’en ai oublié de regarder la jauge. 58 km, je devrais avoir une station. Un coup d’oeil à l’application dédiée. Il y en a une mais elle est à… je suis passé hors réseau, Google maps n’est plus capable de calculer l’itinéraire ! Pas le choix, je continue. Que le trajet est long. J’ouvre maps.me qui fonctionne sans réseau. Il me reste 18km avant la station et… 24km d’autonomie. Aïïeeu, cela va être juste. Mais j’y arrive. Ouf, il ne me reste plus que 2km d’autonomie selon l’ordinateur.
Bizarre, la station est bien calme. Les craintes qui me hantent depuis maintenant 20 minutes tournent au cauchemar. Elle est fermée. Nous sommes dimanche soir à Nelson, petit village à 38km de ma réservation pour la nuit. Noooon.
Que faire? Plan B, appeler l’assistance du loueur? Le temps qu’elle arrive, ma réservation aura fermé. Je tape à la porte du motel voisin, je les appelle, rien ne bouge. On est bien partis, ma moto et moi !
Une maison avec des lumières à 100m, là une personne m’ouvre mais ne peut m’aider : elle n’a que du diesel. Elle me renvoie au pub. Au hasard, je le trouve du premier coup. Une dizaine de personnes y mangent, insouciantes. Je me dis que j’aimerais être à leur place. D’autant que le barman dit ne pas avoir d’essence.
Un serveur en aurait peut-être 2 litres. Il ne s’en rend pas compte, mais mon véhicule consomme très peu : 2 litres cela couvre les cinquante km qui me manquent! Je lui laisse 10 dollars. Au final, le barman en trouve 5 de plus. Je lui prends une Corona à emporter pour le remercier, comptant lui laisser un pourboire en payant. Mais il a le réflexe de l’ouvrir. Mince, je dois la boire sur place. Il ne manque plus que l’alcool pour que cela finisse mal… Je repars avec plus de 180km d’autonomie, et bien moins stressé. Au point d’en oublier le pourboire.
La lune presque pleine n’éclaire que difficilement la route limitée à 110 km/h. Je ne peut dépasser le 80, et je prends déjà de gros risques à cette vitesse. Je croise les doigts sur les leviers pour qu’il n’arrive rien. Je devrais m’approcher de l’agglomération, il devrait y avoir moins de kangourous. Un panneau 80, puis 60 : je suis enfin en ville.
Orù est l’ancienne prison? C’est dans une des geôles que j’ai réservé une nuitée. J’ai vraiment dû insister. J’avais initialement une réservation pour la veille, mais le propriétaire me l’avait annulée car un groupe avait réservé l’ensemble de l’établissement (pour un mariage?).
Il est 8h passé. Il n’y a personne, juste un message me donnant le code d’accès. C’est fantomatique, un peu glauque. Et pourtant je suis terriblement soulagé d’être là. La porte de ma cellule doit peser 100kg. Elle fait 4cm d’épaisseur. Un petit lavabo d’eau froide à côté d’un WC et deux lits dans 12 m², mais la pièce est chauffée, éclairée et dispose de prises électriques. J’ai vraiment le sentiment d’être privilégié. Je vais bien dormir.